26/08/2018 – St Louis
Un autre lever de lune. Une nouvelle lune à savourer. Une fois encore ce sentiment de solitude. Comme dans la chanson, « on est toujours tout seul au monde ». Comme chaque mois, la terre, le soleil et la lune font leur splendide boulot de révolution, l’univers magnifique nous offre sa splendeur au rythme ancestral.
Les mots viennent tranquilles dans la fraîcheur du soir, sensation de légèreté mêlée de nostalgie. Des visages aimés ressurgissent, les amies d’adolescence les premiers amants les marins bien sûr. Au froid matin d’un départ de course pour les Antilles, dans les rues d’un village corsaire en attendant le retour du tour-du-mondiste ou dévalant les vinoten d’un ancien port de pêche pour partir naviguer dans les risées des jours d’été. La clique des belles années des fiestas infinies, toujours et encore… Mais aussi toutes les âmes perdues, tous les mal-être de pleine lune mal vécue, toutes les nuits d’angoisse mal gérée, toutes les sueurs d’insomnies épuisantes. Mais encore, les multiples envolées en dehors des murs de l’espace-temps, les étreintes folles au matin de nuits trop courtes, mais si longues…
Cette constance m’intrigue, toujours la lune est là, tantôt pleine et entière, tantôt discret filet de lumière à peine esquissé au firmament, mais évidente impératrice de nos vies de terriens subjugués, asservis, ignorants. J’aime le bleu du crépuscule, le relief des ombres entre les arbres endormis, entrecoupé du vol de la pipistrelle ou d’un dernier oiseau retardataire au nid. Je savoure langoureusement les calmes ondes du soir, quand un dernier volet claque à l’écho des ruelles, quand nulle frénésie ne peut plus perturber la douce respiration de la terre enfin rendue à la nuit, aux lucioles et aux rêves des enfants.
Un autre monde apparaît alors, présent à tous mais invisible au plus grand nombre, qui plonge pourtant, sans le savoir, dans les abysses de ses fondations. Quelques âmes éveillées à cette autre dimension savent reconnaître les signes de l’entrée dans le domaine étrange et familier qui jouxte celui des humains « de jour ». Nous nous reconnaissons, heureux de nous retrouver dans cette autre dimension, cet espace-temps éphémère et si délicat. Les rencontres sont belles, intenses et profondes à la fois et construisent des relations fortes et fragiles. Conscients de la rareté de notre présence éveillée à cette autre planète, qui n’existe sur aucune carte stellaire, nous arpentons des territoires qu’aucun astronome n’a su scruter dans sa lunette ou reconnaître au fil de ses recherches.
Nous sommes un et millions à la fois, l’atome et l’univers entier, l’infiniment petit et l’énormément grand, ou son inverse, peu importe. Tout et partie du tout, nous agissons, rêvons, aimons, bâtissons le monde meilleur où chacun·e peut enfin vivre. Sans entrave de culture, de pouvoir ou de religion, nous sommes l’humanité, la nature et les éléments, en un immense renouvellement de notre monde connu, inconnu, pressenti, espéré. La nuit est brève mais ô combien riche en échanges, promesses, belles aventures et épopées grandioses. C‘est en ces nuits de pleine lune qu’est accompli, souvent sans le percevoir, ni même le reconnaître, le grand pas de côté qui permet de comprendre, grandir et progresser. Au matin pourtant, aucune trace tangible ne permettra jamais de savourer la conscience des bienfaits de cet hallucinant voyage nocturne.
Les roses frémissent dans l’air vespéral, quelques feuilles s’agitent au vent discret des premiers moments de la nuit. Animaux et insectes nocturnes entament leur ronde habituelle entre étangs, fourrés, cimes des arbres et recoins de rocaille… La terre respire au rythme doux d’échanges silencieux. Les arbres entament leur noria de messages gazeux, l’air vibre et la terre bourdonne de cette communication invisible. Le commun des mortels, abruti de sa journée saturée d’UV et de bruits, sombre dans les limbes sans pouvoir imaginer cette hyperactivité pourtant si naturelle. Seuls quelques êtres chanceux, élus parmi les braves, ressentent et vivent en conscience les moindres instants de cet étonnant voyage au centre de l’univers, à l’intérieur de notre monde. En rêve ou en « vision », sous hypnose aussi parfois, nous accédons tous et toutes, un jour ou l’autre, à cet état de conscience ultime, à ce partage universel, à cette communion interstellaire. Fort·e·s sont ceux et celles qui se souviennent ensuite d’avoir parcouru les milles de cette fabuleuse épopée. Fort·e·s de l’avoir réalisée, fort·e·s de pouvoir s’en rappeler et de tirer de cette expérience extra-ordinaire la vitalité et l’espoir de continuer le chemin d’humain·e en ce « bas-monde ».
Quelques traces subsistent tout de même au lendemain de ces nuits héroïques, une toile d’araignée nimbée de rosée lumineuse, un effilochage tendre de nuages à l’aurore, un arc-en-ciel dans le rétroviseur un après-midi d’orage… chaque signe est ténu, éphémère et plus ou moins accessible au commun des mortels. Quelques âmes pures savent décrypter ce langage et retenir de ces messages ce qui leur permettra de continuer le chemin. Savoir remercier l’univers pour ces offrandes est alors le cadeau merveilleux à s’accorder, se montrer digne d’une telle chance apporte la joie profonde d’avoir réussi à l’honorer.

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