aujourd’hui encore

Parfois elle disait je peux rien reconnaître où sont mes lunettes je vais plus savoir faire le café ni la vaisselle d’autres fois la ligne de l’horizon si nette qu’on croirait avoir à nouveau vingt ans quand la chaleur entre les reins la fierté dans les regards et la vie devant nous. Mais là elle dit heureusement le clavier je peux le regarder les touches brillent mes doigts vont encore vite je n’ai pas besoin de regarder devant tant pis pour les lunettes ces touches je les connais par cœur les ai tant arpentées tant caressées ces courbes ces pleins ces déliés

et là maintenant que les enfants dorment après le tour de côte les marches du toit de la maison en pierres oui quel bonheur une quasi jouissance j’ai su les appuis l’effort au bon moment et hop me suis hissée sur le granit c’était tellement jouissif et les lumières le pont le port qu’on devine derrière ce qui reste du Bois des Amours où ma grand-mère son futur et toute la famille plus le village et qui sait quelques Duchentils ou les amis d’amies quelques parents et connaissances bref tout ce monde qui comptera dans sa vie dans leur vie dans leur destinées si incertaine on est à l’orée du siècle ou peut-être après une décennie ou deux voire trois oui c’est plutôt ça on en aborde le deuxième quart, cette étrange période que furent les années trente où le monde bascula dans l’horreur mais ça on ne le sut qu’après évidemment. Si on avait su les pogroms les schtetels décimés les femmes et les enfants privés de toutes ressources et les anciens éberlués ébahis transis de tant de violence et de déni d’humanité si on avait su tout ça serait-il advenu le maléfique stratagème d’élimination serait-elle parvenu à ses fins la bête immonde ?

Pourtant le ciel au-dessus des champs les ronds des balles de blé sur fond de gris et roses, le vert des châtaigniers en fleurs c’est la St Jean on peut chauler les tuiles pour les parcs qui donneront tant et plus pour le prochain Noël.

Et lire Delphine Minoui et son « Badjens » en avant-première de sortie littéraire c’est comme monter sur les marches de la maison des douaniers : on est les premiers, les maîtres du monde, même si on sait qu’on se joue un film et qu’il y a eu un avant et y aura un après. Là ce texte c’est une petite bombe d’ado émancipée par la force des choses et la tristesse me prend autant que la colère, on le voit on l’a vu ce désarroi ce déni cette tristesse cette hargne on  y a assisté et c’est pas comme si elle s’était estompée non elle est toujours là les gens souffrent les femmes hurlent dans la nuit chaque matin et toutes les fins de journée une âme est malmenée un honneur est bafoué et c’est pas celui des princes ou des bonnes familles non celui-là est individuel c’est la cruauté qui déchire les chairs c’est l’égoïsme poussé à son paroxysme et l’avidité et la jalousie qui dépravent corrompent usent et sapent les fondements même de notre société.


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