matin d’écriture à Lok

Posée. Les mains enserrant la tasse encore tiède. La taille des caractères ajustée pour être confortable. Les lumières un peu trop vives, mais bientôt le jour se lèvera, estompant l’auréole autour du spot, et laissera le ciel concurrencer enfin les murs blancs pour réverbérer l’intensité des pensées. Leurs errements en tout cas. Du cerveau fatigué en passant par le cœur hagard, retrouver le chemin vers l’oubli des rancœurs. Avancer. Créer, se souvenir, travailler.

Éteindre une lampe. Voilà, la pénombre dévoile les idées restées tapies de peur d’être surprises, trop peu sûres d’elles pour advenir en ébauche de récit. Elles pointaient leur museau humide de petites bêtes apeurées, humant sans bruit les parfums de la nuit, prenant le pouls de ce qui vibre en continu sous la peau, les sentiments, les inquiétudes, tout ce qui fait ma vie intérieure. Je n’ai pas encore trouvé la position idéale, installée comme c’est venu dans cette « chambre à moi » – Marie Darrieusecq ne serait pas heureuse de me voir employer encore cette traduction si mal pensée d’un « room on one’s own », mais c’est pourtant cela, cet espace qui est mien depuis plus d’un mois, quelques nuits et pas encore une journée complète. Ce soir peut-être, malgré l’aller-retour qui se profile pour aller chercher au home sweet home les oublis d’hier soir – un branchement pour l’ordi, des chaussons fourrés, une thermos et… on verra bien ce qui manque au cours de la matinée – quand le soleil sera couché, donc, comme les enfants et bien des lève-tôt, je pourrai dire que j’ai passé ici vingt-quatre heures de ma vie.

La voisine est déjà debout elle aussi, comme moi elle a allumé bien avant la fin de la nuit. J’imagine ses rituels du matin, yoga sûrement, un peu de lecture avec un thé brûlant devant le poêle qui repart doucement sur les vestiges de la flambée de la veille… ou juste des rêvasseries de femme seule, une langueur de début de journée qui prépare son lot de routine ou de découvertes, qui sait, les astres et l’univers réservent bien des surprises, même dans le plus simple des jours. Comme par exemple cette attente d’un déclic, elle se fait mystère à résoudre, énigme à décortiquer pour en comprendre le mécanisme et en voir jaillir la vérité, l’impulsion créatrice, puis regarder glisser le flot des mots et des histoires et l’embellir joyeusement pour en faire un récit.

Le jour se lève à présent, du moins le ciel est-il plus clair et les murs des maisons, leurs toits et quelques branchages se détachent de la masse d’un bleu-gris de plus en plus léger. J’entends bouger en bas, un petit-déj s’achève ou se prépare, ou bien était-ce la porte, refermée aussi doucement que possible pour ne pas réveiller le reste de la maisonnée, quelqu’un s’en va chercher du pain peut-être. Les rues doivent être luisantes de la pluie qui a martelé le Velux toute la nuit, le vent fait encore divaguer quelques gouttes sur le carreau de ma fenêtre, je le croyais pourtant peu exposé. Le gris se fait plus doux, on ne verra pas le soleil monter du bord de la rivière à l’échancrure où se profile la baie, les nuages trop opaques pèsent en horde sauvage sur le village échevelé d’une nième tempête de Sud-Ouest. On commence à décompter les jours de cette fin d’année qui aura vu nos espoirs et nos doutes croître et refluer autant que les marées : chaque heure, chaque semaine a apporté son lot de misères et d’amour, mais tant d’incertitudes aussi… Les maisons qu’on distingue maintenant dans le petit jour attendent elles aussi, protégeant tendrement leurs habitants, leurs rêves et leurs projets.

Les pensées et les actes à venir se réchauffent dans la tiédeur des foyers qui s’éveillent, avant de sortir retrouver l’espérance blottie entre les façades, patiente, qui se faufilera bientôt à leurs côtés pour qu’advienne ce qui doit être.


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