l’attente lente et précieuse des jours meilleurs

depuis la page d’Eve Rst, artiste textilienne (FB le 03.02.2024)

Mon comm en-dessous : « Enchevêtrée aussi, oui, c’est exactement ça | Gueule ouverte pareil, plume au poing pour raconter | Merci Eve Rst – puissance d’Imbolc » – Ensuite elle me dit où est cet arbre : Brignoles dans le Var

Me revient comme à la première lecture une pensée pour JL, le détenu qui parle de son regret de n’avoir pas fini de transmettre ses connaissances du bois à son fils, qu’il a dû laisser à lui-même pour entrer en prison. Il avait « choisi » le mot bûche dans le dictionnaire ouvert au hasard. L’émotion qui l’empoigne à chaque fois qu’il parle, calmement, les yeux si tristes, voilà ce qui me happe quand je suis dans cette salle, entre les murs blancs, face à la fenêtre aux grilles épaisses, entendant entre ses rares mots la puissance du renoncement auquel il doit faire face depuis longtemps. Je dois reprendre mes notes pour me souvenir de la durée de son séjour ici, mais qu’importent les mois ou les semaines pour ceux qui sont entrés en pensant parcourir les arcanes du système judiciaire comme ils auraient monté un dossier d’aide au logement ou une procédure de divorce.

Il n’est pas le seul à venir du monde agricole, forestier, de la nature. Il y a P. aussi, qui a élevé des moutons, aimé courir la campagne, les landes et les bois pour retrouver le parfum de l’enfance et transmettre à sa famille cet amour inextinguible pour l’eau qui court entre champs et bosquets, entre source et océan – et aussi appris à broder avec sa belle-mère, et orné de notes de musique le sac de son instrument, et joué devant des milliers de personnes, sur des tribunes de fest-noz, de festivals celtiques, entourés de pointures de la bombarde ou du biniou.

Puis remonte l’émotion intense, presque sexuelle, à la vision détaillée de cette sculpture (faite par qui ? un·e Humain·e ? la nature ?) de « femme racine qui monte vers la cime » comme la décrit plus tard Eve. L’étrange synchronicité avec mes pensées des (derniers ? légendaires ?) temps où je prends les souvenirs, les ressentis et toutes les ondes pour une remise sur le métier de l’éternelle trame où tisser ma vie, mon travail d’écriture, une œuvre peut-être ?

Les oiseaux commencent à chanter de bonne heure depuis quelques jours, bien avant l’apparition du soleil (ou son manque, planqué qu’il reste bien souvent derrière la masse grise de cette fin d’hiver qui ne dit pas encore son nom), l’air se fait plus léger, comme guilleret, quand je vais au jardin et sens les premiers parfums de mimosa, jonquilles, narcisses bientôt. La fatigue me nargue pourtant, beaucoup de temps morts et d’hésitations à prolonger les jours et écouter les nuits ou inversement, plutôt, pour poser dans un canapé, au creux d’un lit ou le long de la rivière, avec mon mal de dos et cette tristesse infinie, mes doutes et mes espoirs, pour les laisser vaquer tranquillement. L’actualité, les injonctions sociétales ou les remarques affectueuses font autour de moi comme un tumulte parfois inquiétant, je voudrais tant la paix, quelqu’un·e pour passer l’aspirateur, aller chercher des œufs et partager l’attente lente et précieuse des jours meilleurs.

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