Dessin signature

C’est moi qui l’ai dessiné. En bas de la feuille dans la pliure du carnet – j’écris en transversale, c’est plus facile quand t’es gaucher, pas besoin de garder la main tordue en début de ligne de la page de droite. Je me suis appliqué, j’avais envie que ce soit joli, je savais que ce serait définitif alors fallait que je réussisse du premier trait, net et sans bavure comme disait ma grand-mère. Les boucles sont venues après, d’abord il y a eu ce losange, un peu écrasé du sommet. Comme le bassin du parc quand on le regarde depuis le banc du milieu, celui où je vais m’asseoir parfois, enfin avant, parce que depuis le jour du grand carnage j’y vais plus sur ce banc, c’est trop triste. Mais voilà quand je m’asseyais là c’est ce que je voyais, en fait rien que de le dire je le comprends, là maintenant, c’est quand on est assis qu’on voit les choses de plus près et en vrai, comme elles ont été conçues comme elles sont réellement, sinon dès qu’on se lève on a comme une fierté, invisible et malgré nous on toise, si on fait un mètre vingt c’est sûr qu’on n’a pas la même idée des choses qu’un basketteur professionnel, encore moins qu’un aviateur. Alors un astronaute, tu penses bien…

Bref, je me suis dit que c’était ça la réalité, ce losange que j’ai doublé d’un trait plus fin, pour souligner sa grâce et sa solidité aussi, parce que ce bassin quand même il est joli, il contient la fraîcheur et la lumière, autant l’été que l’hiver il donne à voir la couleur du ciel sans avoir à lever la tête, la nuit il brille doucement ou il se tait, sombre, et on ne sait pas si on va continuer, y plonger pour toujours ou rester là au bord à essayer de comprendre. Des fois je me dis que la vie c’est pareil, tu marches à côté et parfois tu rentres dedans à pieds joints et tu sautes de joie en éclaboussant partout, autour de toi il y a des rires et des chansons, et puis un autre jour c’est tristesse et compagnie, rien qu’à regarder le bord de pierres jointoyées et les dalles du fond où quelqu’un a jeté une pièce, un jour, tu sais que les vœux ne s’exaucent pas aussi facilement. Et puis voilà que je me dis non c’est pas aussi carré et simple que ça, alors j’ai commencé à rajouter une petite boucle de chaque côté, et une autre et une autre, elles étaient trois maintenant où j’ai piqué un petit point au milieu, ça en a fait douze comme les mois d’une année, je me suis dit printemps été automne hiver, c’est parfait, tout y est. Un trait large qui s’affine pour partir vers l’ailleurs, à chaque angle comme un point cardinal, la j’ai pensé à mes grands-parents, quatre racines qui mènent au ciel, enfin qui y sont retourné et c’est très bien, enfin j’aurais bien gardé Mamie un peu plus longtemps, elle faisait de si bonnes confitures de mûres en souriant gentiment…

Après il y a quelqu’un qui est arrivé et j’ai refermé le cahier un peu trop vite, c’est pour ça qu’il y a une trace d’encre sur le bord droit de la feuille, qui s’est dupliquée sur l’autre page, dommage. Mais ça fait un souvenir.

En regardant le Rouleau d’interrogatoires des Templiers (1307 !!) présenté par Claudine Glot sur FB. Ce document d’archive m’a transportée en temps ancien, je tenais la plume qui va de l’encrier au papier légèrement grumeleux, je dessinais en marge de la large feuille, annotant ainsi le registre officiel de pensées poétiques et incongrues en cet endroit. Des rosaces, des croix, un damier, quelques boucles. Puis je me suis retrouvée au parc, jardin du Luxembourg ou des Plantes, Procé peut-être. Un épisode d’enfance, un autre d’adolescence, me sont revenus en boomerang d’émotions qui ont fabriqué le début d’une histoire, la raison d’un dessin, le projet de les raconter. Et le désir de dire, toujours.


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